Ondes pacifiantes

Le ronron du réfrigérateur. Une espèce de vibration électrique, a priori monocorde et ponctuelle, dont le déclenchement devrait à la rigueur susciter un vague agacement. Mais ce n’est pas du tout ça. Pourquoi le ronron du réfrigérateur fait-il du bien ? D’abord, si on le perçoit vraiment – pas seulement par les oreilles, il pénètre le corps entier –, c’est que la cuisine est suffisamment silencieuse, qu’on a coupé le babil fleuve de la radio. Il monte dans des heures suspendues, des heures de rien, milieu de matinée, milieu d’après-midi, il joue sur la profondeur du silence, en donne la conscience en l’abolissant – c’est un bruit qui fait du silence.

Tu ne trouves pas qu’il se met en marche de plus en plus souvent, que ça dure bien longtemps ? Il est trop vieux, ce réfrigérateur, il va nous lâcher, il faudrait le changer. On dit ça, mais on sait bien en même temps que c’est bon d’avoir un vieux réfrigérateur fatigué qui garde au frais les carottes et les poireaux avec la même docilité qu’une antique fourgonnette au diesel ronfleur mettrait à les apporter au marché à cinquante à l’heure.

Téléviseur, téléphone, et même sonnerie de la porte d’entrée : tous les bruits, toutes les ondes domestiques agressent, traversent, bousculent. Le ronron du réfrigérateur au contraire émet des ondes pacifiantes, qui font chanter le gondolier sur la boîte de biscuits, donnent une consistance plus moelleuse aux madeleines sous leur Cellophane. L’eau qui bout devient vivante à l’heure du café, le chuintement de la soupe réchauffe à l’avance. Mais l’âme sonore de la cuisine, c’est le ronron du réfrigérateur.